Aurélie Julia, note de lecture sur Silvia Ronchey, Portraits exquis (Arléa), in
Une anthologie? Un reeueil ? Un spicilège? L'ouvrage de Silvia Ronchey ne se range derrière aueun de ces qualificatifs: il faut puiser aiIleurs, notamment dans le registre sentimental. Les Portraits exquis relèvent en effet davantage d'une promenade amoureuse parmi trois mille ans de littérature que de morceaux choisis selon des cTItères préalablement déterminés. À la chronologie temporeIle, l'auteur préfère le classement alphabé tique : on pourrait se plaindre d'un tel choix et reprocher le manque de stratégie; on doit au contraire applaudir l'initiative: chaque petit chapitre surprend par des voisinages inattendus. Qui còtoie Dickens? David et Empédocle. Qui entoure Verlaine? Thérèse gile. ment Rilke se d'Avila réjouir peut et égalede Vlfsa compagnie: à sa droite Romanos le Mélode, à sa gauche Pythagore. Qu'ils aient 2500 ans ou qu'ils soient morts hier, les soixante-cinq personnages de celte étonnante sarabande paraissent tous plus vivants les uns que les autres. La vivacité tient à l'ossature des médaillons ainsi qu'au style littéraire; Silvia Ronchey toume le dos à l'érudition faetuelle, boude les dates et les détails familiaux qui tiennent plus de la tentation romanesque que de la vérité; sa pIume se focalise sur la philosophie des etres et sur leurs méditations métaphysiques; les biographies semblent dès lors obéir à un seuI principe, celui du plaisir intellectuel.
Résultat? Le lecteur a l'impression de regarder une pierre prédeuse à mille facettes: les portraits chatoient et fascinent. La langue participe bien SÙf de l'alchimie; en nous régalant de tours poé tiques, elle nous ouvre les portes de mondes souvent inconnus et rend accessibles les propas d'hommes ilJustres. En deux substantifs et trois épithètes habilement sélectionnés, une figure se dresse devant nous. Écoutez donc: • Huysmans avait une peau de Flamand, un nez de vautour, des yeux gris lavande, saturés d'exaspération et de fatigue.; • Sous la longue perruque bouclée imposée par Louis XIV, [le} front [de PerraultJ était bas, ses yeux trop rapprochés et son regard glacia\. Le nez faisait penser à un bec d'oiseau prédateur, et les lèvres fines dessinaient un vague sourire de défi .. ; • Enfant, [H6Iderlin} comprenait le silence de l'éther mais le langage des hommes, il ne le comprit jamais.• La voix de l'auteur se glisse parfois entre les citations quand elle ne s'approprie pas des fragments d'ceuvres paur en extraire la pulpe et ainsi mieux reproduire l'essence de la pensée. En effaçant toute forme de frontières - temparelles, spatiales, linguistiques, spirituelles -, les Portrais exquis donnent à entendre un chant, un hyrnne à l'unité retrouvée. La traductrice Ida Marsiglio piace le livre sous l'égide de Flaubert; on ne contredira pas ce beau patronage : • Ne lisez pas comme les enfants lisent, paur vous amuser ., avertit le père de Madame Bouary, ·ni comme les ambitieux lisent, paur vous instruire. Non, lisez paur vivre...